Qu'est-ce qu'une grosse caisse si ce n'est un gros tambour posé par terre, plus grave que les autres et qui se joue au pied? Ça n'a pas l'air
sorcier.
Et pourtant... Son histoire commence en Mésopotamie il y a 5000 ans !
Je continue sur ma lancée de la découverte de chacun des instruments de la batterie avec la grosse caisse. Vous pensez peut-être qu'il n'y a trop rien à
en dire ? Après tout, qu'est-ce qu'une grosse caisse si ce n'est un gros tambour posé par terre, plus grave que les autres et qui se joue au pied? Ça n'a pas l'air sorcier. Et bien détrompez vous
car son histoire commence en Mésopotamie par le sacrifice d'animaux et se termine au HellFest !
Nous écouterons bien sur tout au long du podcast de nombreux extraits d’œuvres qui iront de la fanfare à la double grosse caisse et des sons spécifiques aux différents types de matériaux utilisés
pour les fabriquer. Nous terminerons sur un historique de l’utilisation de cet instrument dans le contexte d’un set de batterie juste après l’histoire extraordinaire de la pédale de grosse caisse
puisqu’à elle seule on peut dire qu’elle a créée le concept même du kit de batterie.
Je ne sais pas pour vous mais moi, quand on me dit grosse caisse, je pense, évidemment à mon instrument favori mais aussi aux fanfares. Aux fanfares militaires peut-être mais, en ce qui me
concerne, aux fanfares de tous ces carnavals que j’ai vu quand j’étais enfant comme les Gilles de Binche. Une tradition belge très étonnante.
Le rapport entre les deux, les militaires et les fanfares de rue, comme je vous le disais dans le premier chapitre, est très étroit. La grosse caisse est effectivement venu en Europe par un biais
militaire mais ses origines sont plus lointaines et surtout plus mystiques.
Lilissu : grand tambour sumérien
En Mésopotamie, une région du Proche-Orient équivalant grosso modo aux actuelles Iran et Irak, les Sumériens ont inventés au IIIème millénaire avant JC une sorte de timbale d’orchestre en
forme de gobelet, c’est-à-dire un tambour à fond plat qu’ils appelaient lilissu.
Je vais vous en raconter la fabrication, car si chaque tambour du monde a une histoire particulière à entendre, celle-ci est extraordinaire : comme nous l'apprend une tablette cunéiforme,
la fabrication de la lilissu faisait partie d'un long rituel sacrificiel. Un prêtre devin choisissait le jour approprié où un taureau noir, jusqu'alors non frappé avec un fouet ou un bâton,
pouvait être conduit devant le temple. Sur place, le prêtre responsable de la musique offrait d'abord des sacrifices à certains dieux. À Ea, par exemple, qui était le dieu de l'ordre humain, de
la sagesse et de l'habileté, y compris pour la musique.
D'autres offrandes et chants suivaient. Pendant ce temps, le taureau était amené et conduit sur un tapis rouge saupoudré de sable. On plaçait douze figurines divines en bronze sur d'autres
supports au sol. Ensuite, le corps en bronze du tambour était apporté. Notons qu’à l’origine la GC était en bronze comme les cymbales ! Un prêtre prononçait ensuite des formules d'invocation dans
les oreilles du taureau, désormais divinisé. Le prêtre se mettait à genoux devant sa tête et récitait trois fois une formule d'invocation, comme acte de repentance pour se décharger de sa
responsabilité dans la mort de l'animal sacré. Ensuite, on enlevait la peau et on brûlait le cœur. La peau était nettoyée et traitée avec diverses substances, puis provisoirement tendue sur le
corps du tambour avec une corde passant autour du bord. Deux semaines après le rituel, le tambour divinisé était placé devant le temple, où seuls certains prêtres étaient autorisés à le
jouer.
C’est vous dire à quel point le tambour était un instrument important, sacré devenu intouchable.
Le taureau était vénéré comme symbole de fertilité en dehors de ce culte sacrificiel. Ainsi, la caisse de résonance des sistres sumériens, sortes de hochet, qui avaient une plus grande importance
que les harpes, représentait un corps de taureau avec sa tête.
Au passage, le sistre s’il n’est à l’origine du hochet actuel pour bébé a bien transporté avec lui la croyance qu’il chasse les démons. Car c’est exactement ce pourquoi on a donné des hochets aux
enfants, il est sensé leur porte chance avant d’être un jouet !
Arrivée en Europe
A partir de la Mésopotamie, la Lilissu s'est transformée en Dohol, un tambour persan à 2 peaux et non plus à fond plat. C’est plus que probablement la version primitive de la grosse caisse
militaire européenne. Les turcs en ont une similaire du nom de Tabl Turki ou Davul. C’est cette grosse caisse que les armées chrétiennes ont croisée (si j’ose dire) sur leur chemin. Elle était
portée sur la poitrine comme aujourd’hui dans les fanfares. Un tambour qui les a d’abord effrayés avant que nos ancêtres ne le prennent à leur compte. Vraisemblablement pour effrayer d’autres
ennemis à leur tour.
Avec l’extension de l’Empire Ottoman à différentes régions d’Afrique du Nord, le concept de davul a évolué et s'est répandu en Europe. Par exemple en Grande-Bretagne au XIXe siècle où les
tambours gongs sont apparus. Ils étaient très grands et émettaient un son avec beaucoup de résonance mais n’avaient qu’une seule peau au contraire du davul. Ces caractéristiques rendaient les
gongs inemployables dans les orchestres symphoniques.
C’est ainsi également que des grosses caisses d’orchestre spécifiques ont été créées. Avec une taille plus petite et un son grave indéfini, elles sont toujours utilisées en musique classique pour
souligner certains temps ou ajouter de la couleur et de la profondeur à la composition.
Musique classique
Instrument faisant partie de ce qu’on appelait par dérision les “turqueries” au XVIIème, la grosse caisse va donc se faire une place de choix dans la musique européenne. Car elle est rapidement
présente dans de nombreuses œuvres certainement aussi par l’effet de la mode orientaliste. Citons : le "Requiem" de Verdi (dans le "Dies Irae"), la "Symphonie n° 3" de Mahler ,
"Le Sacre du printemps" de Stravinsky et Franz Liszt est sans doute le premier compositeur à avoir utilisé la technique du tremolo sur une grosse caisse, dans son poème symphonique
"Ce que l'on entend sur la montagne".
Au fil des ans, elle a su évoluer et se complexifier, les compositeurs l'utilisant de diverses manières pour exprimer des émotions contrastées : douce pour des pulsations aux sonorités sourdes,
lointaines et mystérieuses, ou avec force pour des climax dramatiques réunissant l'orchestre au complet.
L'instrument est ainsi parfaitement apte à simuler les coups de canon prescrits par Tchaïkovski dans son célèbre morceau "Ouverture 1812". Il est
parfois utilisé pour d’autres bruitages comme le tonnerre ou les tremblements de terre. On notera, à ce propos, que la grosse caisse est également connue en
français sous le nom de tonnant.
Tout cela nous montre que les compositeurs ont plus de liberté dans son utilisation que dans les autres genres musicaux, je ne parle pas que du bruitage mais le jeu est subtile par l’utilisation
d’un plus grand nombre de techniques et de maillets. Outre les maillets propres à la grosse caisse, il y a aussi l’emprunt à d’autres instruments comme les mailloches de vibraphone, de timbales,
le jeu aux baguettes ou aux mains avec tous les roulements possibles.
L’orientation de la grosse caisse est aussi importante pour le jeu. En effet, étant trop grandes pour être tenues à la main, elles sont toujours montées soit par un harnais d'épaule de sorte que
les peaux soient verticales.
Sur un support au sol comme une batterie. Les peaux sont aussi verticales évidemment ou typiquement sur un berceau réglable. Les peaux peuvent alors être ajustées dans n'importe quelle position
entre la verticale et l'horizontale.
Cependant, si les compositeurs ont plus de liberté, ils ne l’utilisent pas toujours.
Ainsi, Berlioz qui a maintes fois recours à la grosse caisse , en critique sévèrement le jeu avec les cymbales, je le cite :
“La grosse caisse est presque toujours accompagnée de cymbales comme si les deux instruments étaient inséparables par nature. Dans certains orchestres, ils sont tous les deux joués par le
même instrumentiste: avec l’une des cymbales accrochée à la grosse caisse, il peut la frapper avec sa main gauche tout en brandissant la mailloche de grosse caisse avec sa main droite. Ce procédé
économique est intolérable : les cymbales, perdant ainsi leur sonorité, ne produisent plus qu’un bruit comparable à celui qui résulterait de la chute d’un sac plein de ferrailles et de vitres
cassées. C’est d’un caractère trivial dépourvu de pompe et d’éclat; c’est tout juste bon à faire danser les singes”.